Rigidité neuronale et autisme : une nouvelle piste thérapeutique
L’autisme se manifeste de façons très diverses. Si les difficultés sociales ou la sensibilité sensorielle sont souvent mises en avant, un autre aspect occupe une place centrale : la difficulté à s’adapter aux changements. Beaucoup de personnes autistes peinent à passer d’une activité à une autre, à modifier une stratégie lorsque l’environnement évolue ou à ajuster leurs réponses face à l’imprévu.
Les chercheurs désignent cette capacité par le terme de « flexibilité cognitive », qui repose sur un mécanisme invisible mais essentiel, à savoir le passage du cerveau d’un état d’activité à un autre. Pour l’illustrer, on peut comparer le cerveau à une machine à configurations multiples. Passer d’un mode A à un mode B demande un effort énergétique, un peu comme lorsqu’on transforme un canapé en lit : la structure de base reste la même, mais il faut fournir une énergie supplémentaire pour en changer l’usage. Chez les personnes autistes, cette énergie de bascule semble moins disponible, ce qui explique la tendance à rester figé dans une activité, à répéter certains comportements ou à avoir du mal à s’ajuster à une situation nouvelle.
Observer le cerveau en mouvement
Pour comprendre ce phénomène, les neuroscientifiques ont utilisé un outil mathématique appelé analyse de paysage énergétique. L’idée est de représenter les états du cerveau comme des vallées séparées par des collines. Plus les vallées sont profondes, plus le cerveau a tendance à y rester bloqué ; plus les collines sont hautes, plus il est difficile de passer d’une vallée à l’autre. En comparant des adultes autistes et neurotypiques, les chercheurs ont constaté que les premiers restaient plus longtemps coincés dans certains états cérébraux, illustrant une forme de rigidité neuronale.
Cette rigidité ne concerne pas une région isolée, mais l’organisation globale du cerveau. Les réseaux de communication entre régions frontales, pariétales, visuelles et sensorielles apparaissent moins souples, ce qui limite la fluidité de l’activité cérébrale. Ces résultats offrent un cadre scientifique concret pour expliquer l’inflexibilité cognitive observée sur le plan comportemental.
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Une stimulation au bon moment
Pour contourner ce blocage, une équipe japonaise a eu recours à une technique non invasive déjà utilisée en psychiatrie et en neurologie, la stimulation magnétique transcrânienne. L’idée était d’appliquer, au bon moment, de petites impulsions magnétiques sur une région clé du cerveau, le lobule pariétal supérieur droit, impliqué dans le contrôle de l’attention et l’intégration des informations. En ciblant précisément cette zone, les chercheurs ont pu renforcer l’activité d’un réseau cérébral appelé réseau fronto-pariétal, qui joue un rôle central dans la coordination entre différentes régions du cerveau. Grâce à cette activation, les transitions d’un état neuronal vers un autre se sont effectuées plus facilement et les participants ont montré une meilleure capacité à alterner entre deux tâches demandées simultanément.
Ce progrès, visible dès la première séance, illustre le potentiel de cette approche. L’inflexibilité cognitive, longtemps considérée comme un obstacle central dans l’autisme, apparaît ici comme un phénomène partiellement modulable par une stimulation adaptée. Les premiers résultats indiquent en effet une amélioration de la capacité à alterner entre deux tâches simultanées, traduite par un temps de réponse plus court et une meilleure flexibilité cognitive. Autrement dit, la rigidité cérébrale, mesurée à la fois dans les états neuronaux et dans les comportements, peut être assouplie.
Les analyses cérébrales confortent ces observations. Après stimulation, les interactions entre les grands réseaux du cerveau – le réseau fronto-pariétal (contrôle cognitif), le réseau de saillance (détection des stimuli pertinents), le réseau visuel et le réseau du mode par défaut (lié aux pensées internes) – apparaissent plus équilibrées. C’est comme si la stimulation contribuait à une meilleure orchestration de ces ensembles neuronaux, redonnant au cerveau une souplesse qui lui faisait défaut. Ces améliorations, encore modestes et à confirmer, suggèrent que la stimulation pourrait avoir un impact concret sur des aspects essentiels du quotidien. Cependant, les chercheurs appellent à la prudence. Les effets observés ne sont pas durables et tendent à s’atténuer au bout de quelques semaines. Pour prolonger les bénéfices, il faudra affiner les protocoles, en testant par exemple des séances répétées, rapprochées ou adaptées en intensité. Une application clinique ne pourra être envisagée qu’après confirmation sur des cohortes plus larges et plus diversifiées.
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Vers une médecine de précision pour l’autisme
Ces résultats tracent une voie prometteuse en suggérant que l’inflexibilité cognitive, longtemps perçue comme un trait figé, peut être modulée par des interventions ciblées. La stimulation cérébrale n’est pas une solution miracle et n’a pas pour objectif de « corriger » l’autisme, mais plutôt d’atténuer certains aspects qui compliquent le quotidien, en particulier la rigidité comportementale. Pour envisager une application clinique, il faudra affiner les protocoles, tester la durabilité des effets et garantir l’absence d’effets indésirables. Reste que la découverte qu’il est possible d’assouplir, même temporairement, la rigidité cérébrale change notre manière de concevoir l’autisme. Elle montre que certaines caractéristiques, longtemps considérées comme immuables, peuvent être influencées par des approches adaptées et intelligemment synchronisées. Cette avancée ne constitue pas une réponse définitive, mais elle ouvre une nouvelle perspective : plutôt que de voir l’inflexibilité comme une fatalité, on peut désormais l’envisager comme un phénomène dynamique, sur lequel la science commence à apprendre à agir.
Référence
Watanabe, T., & Yamasue, H. (2025). Noninvasive reduction of neural rigidity alters autistic behaviors in humans. Nature neuroscience, 28(6), 1348–1360.
