Dans les pas du temps : La puissance héritée du sport

L’impact de l’exercice physique sur notre bien-être est un sujet largement exploré dans le domaine des sciences de la santé, avec des preuves solides attestant de ses effets bénéfiques sur la condition physique, la santé mentale, et même la longévité. Cependant, une question qui a récemment émergé est celle de savoir si ces bienfaits vont au-delà de l’individu qui pratique l’exercice, et s’ils peuvent être transmis aux générations suivantes. Cette idée, fascinante et encore en grande partie inexpliquée, soulève un champ de recherche appelé l’héritage transgénérationnel des comportements et des habitudes. Si l’on considère que l’exercice physique peut avoir des effets durables sur l’organisme, l’idée que ces effets puissent se transmettre à la génération suivante a des implications profondes tant sur le plan biologique que sociétal.

L’étude menée par José Luis Trejo et son équipe à l’Institut Cajal de Madrid, publiée en 2024 dans The Journal of Neuroscience, s’inscrit dans cette exploration scientifique en examinant comment l’exercice physique, pratiqué par une génération de souris, peut affecter la cognition des générations suivantes. Cette recherche va bien au-delà des études classiques sur les effets à court terme de l’exercice physique, en montrant que les bénéfices de l’activité physique ne sont pas simplement limités à celui qui la pratique, mais peuvent être transférés aux descendants, via des modifications moléculaires subtiles au niveau génétique et épigénétique.

L’impact transgénérationnel de l’exercice physique sur la mémoire

Les chercheurs ont mené une série d’expériences sur des souris de laboratoire, divisées en plusieurs groupes afin d’analyser les effets de l’exercice physique sur trois générations consécutives. Les chercheurs ont tout d’abord exposé un groupe de souris adultes (les grands-pères) à une activité physique modérée, consistant en des séances quotidiennes sur un tapis roulant pendant six semaines, soit l’équivalent d’une activité physique régulière. Un autre groupe de souris (les témoins) n’a pas été soumis à l’exercice et est resté inactif.

Après cette période d’exercice, les chercheurs ont fait reproduire les souris pour créer une nouvelle génération, appelée F1 (les parents des petits-enfants). Cette nouvelle génération n’a pas été soumise à des activités physiques. Enfin, une troisième génération, les F2 (les petits-enfants), a été obtenue à partir de la génération F1 et a été testée sur ses capacités cognitives afin d’évaluer leur mémoire et leurs capacités d’apprentissage.

Les résultats ont montré que les souris F2, dont les grands-pères (F0) avaient fait de l’exercice, avaient des performances supérieures aux souris F2 dont les grands-pères étaient restés sédentaires. En particulier, les souris F2 issues de l’exercice avaient une meilleure capacité à reconnaître des objets nouveaux et à se souvenir de la position d’un objet dans leur environnement. Ces résultats suggèrent que l’exercice physique de la génération F0 a induit des changements dans le cerveau des souris F2, améliorant ainsi leurs capacités cognitives, même sans avoir eux-mêmes pratiqué d’exercice.

Les chercheurs ont également examiné les mécanismes biologiques sous-jacents à ce phénomène. Ils ont analysé les modifications moléculaires dans le cerveau des souris F2 en étudiant l’expression de certaines molécules appelées micro-ARN. Ces molécules régulent l’expression des gènes et jouent un rôle crucial dans la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à créer de nouvelles connexions neuronales. Les chercheurs ont constaté que l’exercice physique des grands-pères avait modifié l’expression de ce micro-ARN, ainsi que d’autres micro-ARN, dans les spermatozoïdes des grands-pères. Ces modifications épigénétiques ont été transmises à la génération suivante, les F2, affectant la manière dont les gènes liés à la mémoire et à l’apprentissage étaient exprimés dans leur cerveau.

L’un des micro-ARN clés identifiés dans cette étude, le miRNA-144, est impliqué dans la régulation de la neurogenèse et dans la formation de nouvelles synapses neuronales, des processus essentiels à la mémoire et à l’apprentissage. L’activité physique des grands-pères a modifié l’expression de ce micro-ARN, ainsi que d’autres micro-ARN, dans les spermatozoïdes, ce qui a conduit à une amélioration des performances cognitives chez leurs petits-enfants, même si ces derniers n’avaient jamais été exposés à un entraînement physique.

Ce phénomène, bien qu’encore partiellement compris, repose sur des mécanismes épigénétiques, c’est-à-dire des modifications dans l’expression des gènes qui ne modifient pas l’ADN lui-même, mais qui influencent la manière dont les gènes sont activés ou désactivés. L’exercice modifie donc non seulement le corps, mais aussi l’ADN de manière subtile, affectant l’expression des gènes dans les cellules reproductrices, ce qui permet à ces changements d’être transmis aux générations suivantes. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives sur l’impact de l’exercice sur la santé cérébrale et son potentiel transgénérationnel à influencer la cognition en modifiant le fonctionnement cognitif des générations suivantes.

Vers de nouvelles frontières : Explorer l’héritage de l’exercice physique chez l’humain

L’étude de José Luis Trejo et son équipe offre un aperçu révolutionnaire des effets à long terme de l’exercice physique sur la cognition, suggérant que ces effets pourraient non seulement bénéficier à l’individu pratiquant l’exercice, mais aussi être transmis à travers les générations. Ces découvertes vont bien au-delà de la compréhension traditionnelle de l’exercice comme simple moyen d’améliorer la condition physique immédiate. En effet, elles révèlent que l’exercice pourrait jouer un rôle majeur dans la préservation des capacités cognitives sur le long terme et la prévention des troubles cognitifs liés au vieillissement, un enjeu de santé publique de plus en plus pressant dans le monde entier.

Dans un contexte où le vieillissement de la population s’accompagne d’une prévalence accrue des maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, il devient crucial de développer des stratégies efficaces pour prévenir la dégradation cognitive. L’idée que l’exercice physique puisse avoir un effet protecteur, non seulement pour l’individu qui le pratique, mais aussi pour ses descendants, ouvre des perspectives nouvelles pour la recherche et les politiques de santé publique. Si l’on comprend mieux comment l’exercice influence la santé cognitive à travers les générations, il serait possible de concevoir des programmes de prévention basés sur l’activité physique qui affecteraient positivement non seulement la santé des individus, mais aussi celle des générations futures.

L’étude de Trejo et al. est la première à démontrer de manière claire que l’exercice physique peut avoir des effets transgénérationnels, impactant non seulement la mémoire et les capacités cognitives de la génération pratiquante, mais aussi celles de leurs petits-enfants. Ces résultats suggèrent que l’exercice physique, loin d’être un simple outil d’amélioration personnelle, pourrait devenir une pratique de santé publique capable d’avoir des répercussions durables et profondes, impactant plusieurs générations successives. Cette perspective pourrait changer notre manière de concevoir les habitudes de vie, en les élevant au rang de pratiques non seulement bénéfiques à l’échelle individuelle, mais aussi ayant des conséquences sociétales positives.

Bien que ces découvertes soient intéressantes, elles nécessitent des validations supplémentaires. Les mécanismes biologiques sous-jacents à ces effets, bien que potentiellement similaires entre les espèces, diffèrent certainement entre les souris et les humains. Les modifications épigénétiques observées chez les souris, ne peuvent pas être automatiquement extrapolées à l’être humain. Ces conclusions soulignent la nécessité de mener des études supplémentaires chez l’humain pour valider ces effets transgénérationnels et explorer comment ces découvertes pourraient être utilisées pour promouvoir une stratégie de prévention durable à l’échelle mondiale. Cela n’enlève rien à l’importance de cette étude, qui ouvre des avenues passionnantes pour la recherche en santé publique, en particulier dans le domaine de la prévention des troubles cognitifs.

Poursuivre ces investigations chez l’humain est crucial pour confirmer l’existence de mécanismes similaires et pour déterminer comment l’exercice pourrait se transformer en un outil de prévention durable. L’implication de l’exercice dans l’héritage de la santé cognitive pourrait révolutionner nos stratégies actuelles de prévention, faisant de l’activité physique non seulement un moyen de maintenir une bonne condition physique, mais aussi un véritable investissement dans la santé des générations futures.

Références

Trejo, J. L., Cintado, L., Pérez-Cuesta, L. M., & Gómez-González, B. (2024). Grandpaternal exercise effects on grandsons’ brain. The Journal of Neuroscience, 44(5), 945-956.

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