Le magnétisme animal de Mesmer : Une esquisse vers l’inconscient

Nous croyons tous que nos émotions, nos pensées et nos comportements sont le fruit de mécanismes visibles et rationnels. Mais qu’arrive-t-il lorsque des forces invisibles, échappant à la conscience, se révèlent être les véritables architectes de notre santé et de notre bien-être ?

Au XVIIIe siècle, une figure controversée, Franz Anton Mesmer, a bouleversé cette vision en postulant l’existence d’une énergie universelle qu’il nomma le magnétisme animal. Médecin allemand et pionnier à la croisée de la science et du mysticisme, Mesmer a marqué l’histoire en explorant l’interaction mystérieuse entre le corps et l’âme. Ses théories, à la fois fascinantes et polémiques, ont ouvert la voie à une réflexion révolutionnaire sur les forces cachées qui influencent la condition humaine. Cet article se propose de plonger dans l’univers captivant de Mesmer et ses idées sur ces puissances invisibles, en mettant en lumière leur impact sur les pratiques médicales et psychologiques, jusqu’à leur écho dans les théories modernes.

Le contexte historique et intellectuel

Franz Anton Mesmer évolue au XVIIIe siècle, une époque marquée par les Lumières, où la science émerge comme un outil de compréhension du monde. Cependant, c’est aussi une période où des croyances mystiques et des pratiques occultes persistent. La médecine reste fortement influencée par des traditions anciennes, comme l’idée des humeurs ou des énergies vitales.

Plongé dans cette vague scientifique, Mesmer s’est fortement inspiré des travaux d’Isaac Newton sur la gravité et les forces invisibles pour développer sa théorie du magnétisme animal. Il croyait que des lois similaires à celles de la gravité régissaient le corps humain. Il proposa une approche révolutionnaire en insistant sur l’interconnexion entre le corps, l’âme et une force invisible, ce qui fût à l’époque, un tournant dans une médecine encore balbutiante en termes de psychologie.

Les fondements du magnétisme animal

Le concept central de Mesmer repose sur l’idée d’un fluide universel qu’il appelle magnétisme animal. Ce terme, inspiré du magnétisme physique, reflète sa conviction que cette force invisible agit spécifiquement sur les êtres vivants (animal, dérivé du latin anima, signifiant « âme » ou « vie »). Tout comme un aimant influence des objets à distance, Mesmer pensait que ce fluide vital circulait à travers le corps, maintenant un équilibre harmonieux entre le physique et le psychique. Lorsqu’il était perturbé, des maladies apparaissaient. Il se voyait comme un « canal magnétique », capable de manipuler ce fluide grâce à des passes effectuées avec ses mains pour rétablir ce flux énergétique. Il expliquait que son propre corps pouvait agir comme un aimant pour rediriger cette énergie et libérer les blocages responsables des troubles. Pour renforcer ses traitements, il mettait en place des dispositifs spectaculaires, tels que des bassins remplis d’eau « magnétisée », entourés de patients reliés par des tiges métalliques censées conduire le fluide. Ce choix de terminologie visait aussi à légitimer ses théories en les associant aux découvertes scientifiques de son époque, tout en traduisant une vision mystique d’une force universelle régissant les êtres vivants. Cette approche mêlait science, symbolisme et une intuition précoce des forces inconscientes.

Les crises magnétiques et les états modifiés de conscience

Un aspect fascinant des séances de Franz Anton Mesmer était la manière dont elles provoquaient des « crises magnétiques », ces états d’agitation intense qu’il interprétait comme le signe d’un processus thérapeutique en cours. Ces crises se manifestaient par des tremblements, des convulsions, des cris ou des pleurs incontrôlables, que Mesmer voyait comme des étapes nécessaires pour libérer des blocages énergétiques perturbant le flux du magnétisme animal. Par exemple, dans l’un de ses cas les plus célèbres, une jeune pianiste nommée Maria Theresia Paradis, souffrant d’une cécité fonctionnelle, aurait retrouvé temporairement la vue après avoir participé à une série de séances où elle aurait été plongée dans des états de transe accompagnés de violentes crises émotionnelles.

Les patients de Mesmer rapportaient souvent des sensations étranges : un engourdissement progressif, des picotements, suivis d’une montée d’émotions intenses, parfois accompagnées de souvenirs refoulés. Ces expériences, bien que spectaculaires et difficiles à interpréter à l’époque, rappellent les mécanismes de l’hypnose et des états modifiés de conscience. Une autre patiente aurait raconté être « transportée dans une autre réalité », évoquant des visions et des souvenirs enfouis liés à des traumatismes passés, qu’elle décrivait avec une clarté inhabituelle.

Ces états, que Mesmer attribuait à son magnétisme personnel, révélaient en réalité des dimensions inconscientes de l’esprit, où des émotions enfouies pouvaient émerger et se décharger. Bien qu’il ne l’ait jamais théorisé explicitement, ces expériences anticipaient le concept freudien d’abréaction, selon lequel l’expression émotionnelle intense, dans un cadre thérapeutique, pouvait conduire à une forme de guérison psychique. Mesmer voyait dans ces manifestations des preuves de la circulation rétablie du fluide magnétique, mais il ouvrait sans le savoir une porte vers l’exploration des forces psychiques inconscientes, qui influencent encore aujourd’hui les théories modernes de la psychologie.

La controverse : science ou supercherie ?

Les méthodes de Franz Anton Mesmer, souvent spectaculaires et empreintes de mysticisme, ont rapidement suscité un vif débat parmi ses contemporains. Ses séances, où les patients étaient réunis autour de dispositifs élaborés – des bassins remplis d’eau magnétisée ou des tiges métalliques censées canaliser le fluide magnétique – mêlaient science, théâtre et un certain charisme personnel. Ce mélange, impressionnant pour ses partisans, a également éveillé la méfiance des scientifiques, qui voyaient dans ses pratiques un manque de rigueur méthodologique. À une époque où la science des Lumières cherchait à établir des lois rationnelles et universelles, les idées de Mesmer sur un fluide invisible, imprégnant le corps et l’âme, étaient perçues par beaucoup comme une tentative d’associer la superstition à la médecine.

En 1784, l’Académie des sciences de Paris et la Société royale de médecine, sous l’autorité de Louis XVI, furent mandatées pour examiner les pratiques de Mesmer. Une commission scientifique fut alors formée, comprenant des figures éminentes telles que le célèbre inventeur du paratonnerre et diplomate américain Benjamin Franklin, le chimiste Antoine Lavoisier, et le médecin Joseph-Ignace Guillotin. Cette équipe avait pour objectif de déterminer si le « magnétisme animal » reposait sur des bases scientifiques. Benjamin Franklin, alors ambassadeur des États-Unis en France et défenseur des principes rationnels, joua un rôle central dans cette enquête. Avec sa méthode rigoureuse et son esprit critique, Franklin était bien placé pour évaluer les affirmations de Mesmer.

La commission organisa plusieurs expériences contrôlées pour vérifier l’existence du fluide magnétique. Dans l’une d’elles, des patients étaient soumis à des passes magnétiques, mais sans savoir si Mesmer était effectivement présent ou si les fluides étaient « activés ». Les résultats furent révélateurs : les réactions des patients semblaient dépendre davantage de leurs attentes et de leur imagination que d’une réelle force physique. Franklin et ses collègues conclurent que, bien que les effets du magnétisme animal soient observables – certains patients rapportant des améliorations de leurs symptômes –, ils ne pouvaient être attribués à une force universelle ou à un fluide mystérieux. Les changements étaient plutôt dus à l’imagination des patients, à la suggestion et, probablement, à l’effet placebo.

Le rapport, publié la même année, discrédita publiquement Mesmer, qui fut accusé de charlatanisme et vit sa réputation s’effondrer en France. Et si la communauté scientifique des Lumières rejetait en grande partie le magnétisme animal, certains voyaient dans les résultats obtenus par Mesmer une preuve indirecte que des processus psychologiques, encore mal compris, jouaient un rôle crucial dans la santé et le bien-être des individus.

Cette controverse illustre un moment clé dans l’histoire des sciences, où la rigueur expérimentale cherchait à triompher de pratiques considérées comme mystiques ou irrationnelles. Pourtant, en dépit de la critique scientifique et de l’effondrement de sa carrière en Europe, Mesmer aura marqué durablement la réflexion sur les interactions entre le corps, l’esprit et des forces invisibles, annonçant indirectement l’émergence de la psychologie moderne.

Une vision précoce de l’inconscient

Ce qui rend Franz Anton Mesmer si fascinant, c’est qu’il a anticipé, de manière intuitive, l’idée que des forces invisibles et inconscientes régissent nos pensées, nos émotions et notre santé. À travers sa théorie du magnétisme animal, Mesmer introduit l’idée qu’il existe des mécanismes sous-jacents, souvent échappant à notre contrôle conscient, mais jouant un rôle central dans notre équilibre physique et psychologique. Il considérait que les désordres physiques ou émotionnels, tels que les paralysies fonctionnelles ou les crises nerveuses, étaient causés par des blocages énergétiques invisibles, lesquels devaient être libérés pour permettre une guérison complète.

Bien qu’il n’ait jamais employé le terme d’ »inconscient », ses pratiques révélaient déjà des dimensions mentales enfouies. Les états de transe qu’il provoquait chez ses patients, où surgissaient des émotions intenses, des souvenirs refoulés ou des comportements inattendus, démontraient que des processus psychiques échappant à la volonté pouvaient s’exprimer sous certaines conditions. Par exemple, dans ses séances avec Maria Theresia Paradis, la pianiste aveugle, il observa que les « crises magnétiques » semblaient déclencher des souvenirs et des réactions émotionnelles liées à des traumatismes non résolus. Ces observations posaient sans le formuler les bases de ce que Freud et d’autres appelleraient plus tard la catharsis ou encore l’abréaction, cette intense expression émotionnelle qui peut aider à alléger la souffrance psychique.

De plus, l’importance qu’il accordait au rôle de l’imagination et des attentes des patients, qu’il voyait comme un levier essentiel dans ses traitements, le rapproche des théories modernes sur l’effet placebo et le pouvoir de l’esprit sur le corps. Mesmer percevait l’âme humaine comme un champ énergétique complexe, où des tensions invisibles pouvaient s’accumuler, reflétant une compréhension intuitive des conflits internes que Freud conceptualisera bien plus tard avec la dynamique entre le Ça, le Moi et le Surmoi.

Ainsi, même si Mesmer ne systématisa pas ses découvertes dans une véritable théorie de l’inconscient, son travail constitue une étape préliminaire importante. Il pressentit que derrière nos comportements visibles et nos maladies apparentes se cachent des forces profondes, à la fois psychiques et somatiques, qui demandent à être comprises. C’est en cela qu’il se positionne comme une figure de transition, entre les interprétations mystiques de son époque et l’émergence de la psychologie scientifique.

Les échos de Mesmer chez Freud

Bien qu’opérant dans des contextes radicalement différents, avec un siècle de décalage entre les deux chercheurs, Franz Anton Mesmer et Sigmund Freud partagent une quête commune : celle de comprendre les dimensions invisibles qui influencent le comportement humain. Les pratiques mesmeriennes, centrées sur le concept de « magnétisme animal » et les « crises magnétiques », mettaient en lumière des états modifiés de conscience où des émotions intenses et des tensions refoulées semblaient émerger. Ces crises, que Mesmer interprétait comme des libérations cathartiques nécessaires pour rétablir l’équilibre énergétique, trouvent une résonance inattendue dans les débuts de Freud, qui utilisait l’hypnose pour accéder aux souvenirs traumatiques enfouis. Cependant, là où Mesmer attribuait ces phénomènes à une force universelle et physique qu’il pensait manipuler directement, Freud ancrera ces processus dans une dynamique psychique, rejetant toute notion de fluide ou d’énergie pour développer une théorie de l’inconscient structuré, composée du Ça, du Moi et du Surmoi. Si Freud finira par délaisser l’hypnose pour des méthodes comme l’association libre, leur intérêt mutuel pour les processus inconscients, qu’ils soient énergétiques ou psychologiques, souligne une continuité fascinante. En définitive, Mesmer, avec ses intuitions visionnaires, aura posé les bases d’une exploration de l’esprit humain qui trouvera son prolongement dans les théories psychanalytiques, bien que radicalement reformulées.

« L’histoire de la science est l’histoire des erreurs de la science », écrivait Gaston Bachelard, et cette pensée s’applique parfaitement à Franz Anton Mesmer. Si son concept de magnétisme animal reposait sur des bases non vérifiées, comme l’existence d’un fluide universel gouvernant l’équilibre du corps et de l’âme, ces idées, bien qu’erronées, ont joué un rôle clé dans l’évolution de la compréhension de la psyché humaine.

En explorant les états modifiés de conscience et les forces invisibles, Mesmer a pressenti des phénomènes que la science allait plus tard approfondir : l’influence de l’imagination, le pouvoir de la suggestion et les liens entre corps et esprit. Ses erreurs, loin de disqualifier son apport, ont ouvert des voies nouvelles pour des figures comme Charcot et Freud, ancrant ses intuitions dans une quête scientifique plus rigoureuse.

Ainsi, Mesmer illustre comment les tâtonnements d’hier, même imparfaits, peuvent devenir les fondations des découvertes de demain. Ses idées continuent de résonner comme un jalon essentiel dans la lente construction de la science de la psyché.

Références

Bachelard, G. (1938). La formation de l’esprit scientifique. Paris : Vrin.

Ellenberger, H. F. (1970). The discovery of the unconscious: The history and evolution of dynamic psychiatry. New York: Basic Books.

Franklin, B., Lavoisier, A., & Guillotin, J.-I. (1784). Rapport des commissaires chargés par le Roi de l’examen du magnétisme animal. Paris : Imprimerie Royale.

Gauld, A. (1992). A history of hypnotism. Cambridge: Cambridge University Press.

Mesmer, F. A. (1779). Mémoire sur la découverte du magnétisme animal. Genève : Slatkine.

Shorter, E. (1997). A history of psychiatry: From the era of the asylum to the age of Prozac. New York: Wiley.

Tinterow, M. M. (1970). Foundations of hypnosis: From Mesmer to Freud. Springfield, IL: Charles C Thomas.

Amine Lahhab
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Réalisateur
Master en Réalisation- Ecole Supérieur de l'AudioVisuel (ESAV), Université de Toulouse.
License en Histoire- Université Hassan 2 de Casablanca.
DEUG en Philosophie- Université Hassan 2 de Casablanca.

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