Le jeûne booste-t-il le cerveau ? Ce que dit la science

Depuis plusieurs décennies, les scientifiques s’intéressent aux effets du jeûne sur la santé physique. Il est aujourd’hui bien établi que la restriction calorique et les différentes formes de jeûne peuvent entraîner une perte de poids, améliorer la sensibilité à l’insuline, réduire l’inflammation et prolonger l’espérance de vie de l’individu. En stimulant l’autophagie, ce processus cellulaire de recyclage et de réparation, le jeûne semble jouer un rôle majeur dans la prévention des maladies métaboliques ainsi que dans la protection contre certaines formes de cancer, en contribuant à l’élimination des cellules endommagées et potentiellement tumorales. Mais si le jeûne peut aider le corps à mieux fonctionner, qu’en est-il du cerveau ? Pourrait-il également avoir des effets bénéfiques sur la mémoire, ou même la résistance au vieillissement cérébral ?

Longtemps considérée sous un prisme purement métabolique, cette question intrigue de plus en plus les neuroscientifiques. Au fil des recherches, il apparaît que la privation alimentaire, lorsqu’elle est temporaire et contrôlée, déclenche des mécanismes d’adaptation qui pourraient renforcer la plasticité cérébrale, améliorer l’apprentissage et protéger contre les maladies neurodégénératives. Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous jeûnons ? Quels effets la science a-t-elle mesurés sur nos capacités cognitives ? Le jeûne peut-il réellement être un levier pour optimiser nos performances intellectuelles et ralentir le déclin cognitif ? Pour le découvrir, explorons les dernières avancées scientifiques et analysons comment le cerveau s’adapte aux défis bioénergétiques induits par le jeûne.

Le cerveau face au jeûne : Un défi bioénergétique stimulant

Le cerveau est l’un des organes les plus gourmands en énergie. Il consomme environ 20 % de l’apport calorique total, même au repos. En l’absence de nourriture, l’organisme doit donc trouver des solutions alternatives pour continuer à alimenter cette machine complexe. Une étude menée par Raefsky et Mattson (2016) a révélé que le jeûne intermittent déclenche une série de mécanismes d’adaptation au sein des mitochondries neuronales, ces structures essentielles à la production d’énergie pour le bon fonctionnement des neurones. Parmi ces adaptations, le jeûne stimule la biogenèse mitochondriale, augmentant ainsi le nombre de mitochondries et améliorant leur efficacité énergétique. Il active également le facteur neurotrophique BDNF, une molécule clé dans la formation et le renforcement des connexions synaptiques, favorisant ainsi la mémoire et l’apprentissage. Par ailleurs, il induit l’autophagie neuronale, un processus permettant aux cellules d’éliminer leurs composants endommagés et de se régénérer plus efficacement. Ces découvertes montrent que le cerveau ne subit pas passivement la privation alimentaire, mais déploie au contraire des stratégies d’adaptation qui le protègent du stress oxydatif tout en renforçant des processus cognitifs essentiels. 

Les corps cétoniques, un carburant alternatif pour le cerveau

L’un des mécanismes clés expliquant ces effets est le switch métabolique, mis en évidence par une étude de Mattson et al. (2018). Lorsque nous jeûnons, nos réserves de glycogène s’épuisent après 12 à 24 heures, obligeant l’organisme à adopter un mode énergétique alternatif faisant appel à la conversion des graisses en corps cétoniques, une source d’énergie particulièrement bénéfique pour le cerveau. Parmi eux, le β-hydroxybutyrate (BHB) joue un rôle central en offrant une énergie plus stable que le glucose, limitant ainsi les fluctuations glycémiques susceptibles d’affecter la concentration. De plus, il active des voies génétiques associées à la neuroprotection, en réduisant l’inflammation et le stress oxydatif, tout en stimulant l’expression du BDNF, renforçant ainsi la résilience cérébrale face au vieillissement et aux maladies neurodégénératives. Ces découvertes remettent en question l’idée selon laquelle le cerveau nécessiterait un apport constant en glucose pour fonctionner de manière optimale. Au contraire, elles suggèrent que les périodes de privation énergétique peuvent améliorer ses performances en le poussant à exploiter des carburants plus efficaces et protecteurs.

Le jeûne et la prévention du déclin cognitif

Les recherches sur les maladies neurodégénératives et la cognition suggèrent que le jeûne pourrait être un levier puissant pour préserver les fonctions cérébrales et ralentir le déclin cognitif lié à l’âge. Une étude menée par Ooi et al. (2020) a suivi pendant trois ans des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs légers et a révélé des résultats frappants. celles qui pratiquaient régulièrement le jeûne ont montré une amélioration significative de leur mémoire et de leur fonctionnement cognitif global, accompagnée d’une diminution des marqueurs du stress oxydatif et de l’inflammation, deux éléments clés du vieillissement cérébral. De plus, leur métabolisme du glucose et leur sensibilité à l’insuline étaient optimisés, réduisant ainsi leur risque de développer d’autres pathologies.

Longtemps perçu comme une simple privation alimentaire ou une quête de longévité, le jeûne pourrait en réalité jouer un rôle bien plus profond, celui d’un architecte silencieux du cerveau, sculptant ses connexions et renforçant sa résilience face aux affres du temps. La maladie d’Alzheimer et d’autres formes de démence ne surgissent pas brutalement, elles s’installent lentement, nourries par des processus inflammatoires et métaboliques qui fragilisent, année après année, la structure neuronale. Mais en obligeant l’organisme à puiser dans ses réserves, le jeûne déclenche une cascade de réponses cellulaires capables de remodeler la physiologie du cerveau en profondeur. Ce n’est plus une simple contrainte alimentaire, mais une modulation subtile et puissante des mécanismes du vieillissement cérébral. En limitant les facteurs de risque à leur source, il pourrait non seulement ralentir la dégradation cognitive, mais peut-être même la prévenir. Le jeûne apparaît alors comme un dialogue intime entre le métabolisme et la plasticité neuronale, une dynamique que notre cerveau semble avoir toujours su exploiter pour mieux se protéger.

L’une des explications de cet effet bénéfique réside dans les résultats obtenus par l’équipe de Sandrine Thuret au Collège royal de Londres, qui ont constaté dans leur étude que le jeûne stimule la neurogenèse adulte dans l’hippocampe, une région essentielle à la mémoire et à l’apprentissage. Cet effet serait en partie médié par l’augmentation de l’expression du gène de longévité Klotho, dont l’activation favorise la plasticité cérébrale et améliore les performances cognitives. Cette découverte est majeure, car elle suggère que le cerveau adulte n’est pas figé et qu’il peut générer de nouveaux neurones en réponse à des changements métaboliques. Le jeûne ne se contenterait donc pas d’entretenir les neurones existants, il encouragerait la naissance de nouvelles cellules nerveuses, un processus essentiel pour l’adaptation aux défis cognitifs et la compensation des pertes neuronales liées à l’âge. Ces résultats mettent en lumière une véritable synergie entre métabolisme et cognition. Le jeûne ne se contente pas d’être une simple privation de nourriture, il s’agit d’un stimulus biologique puissant qui oblige le cerveau à s’adapter, à se restructurer et à se protéger. À travers la régulation des mitochondries, la stimulation de la neurogenèse et l’activation de molécules neuroprotectrices, il déclenche des mécanismes qui favorisent la plasticité cérébrale, un facteur essentiel pour l’apprentissage, la mémoire et la résilience cognitive face aux maladies neurodégénératives.

Si ces résultats se confirment à plus grande échelle, ils pourraient profondément transformer notre compréhension du vieillissement cérébral et redéfinir les stratégies de prévention du déclin cognitif. Loin de l’image d’un cerveau condamné à une lente dégénérescence avec l’âge, ces recherches révèlent qu’il possède une extraordinaire capacité d’adaptation et de régénération, à condition de lui offrir les bons stimuli métaboliques. Parmi eux, le jeûne émerge comme un puissant modulateur, un levier biologique capable d’activer des mécanismes de résilience neuronale, de renforcer la plasticité synaptique et de protéger contre les maladies neurodégénératives. Ainsi, la privation calorique temporaire pourrait en réalité être un moteur essentiel d’adaptation cognitive, un état où le cerveau se réorganise, se renforce et affine ses capacités. 

Ce paradoxe apparent, celui d’un cerveau qui prospère dans des conditions de restriction énergétique, ouvre la voie à une réflexion plus large sur notre mode de vie moderne, marqué par une surabondance alimentaire et un accès constant aux ressources énergétiques. Ces découvertes suggèrent que réintroduire ces rythmes d’alternance entre des périodes de privation et de reconstitution énergétique pourrait non seulement stimuler nos fonctions cognitives, mais aussi préserver notre cerveau du vieillissement prématuré. armi les clés d’un cerveau plus vif, plus résilient et plus performant pourrait bien se trouver notre capacité à tolérer et même à exploiter la faim comme un signal d’adaptation bénéfique. Une preuve que parfois, la force vient du manque.

Références

Dias, G. P., Murphy, T., Stangl, D., Ahmet, S., Morisse, B., Nix, A., Aimone, L. J., Aimone, J. B., Kuro-O, M., Gage, F. H., & Thuret, S. (2021). Intermittent fasting enhances long-term memory consolidation, adult hippocampal neurogenesis, and expression of longevity gene Klotho. Molecular Psychiatry, 26, 6365–6379.

Mattson, M. P., Moehl, K., Ghena, N., Schmaedick, M., & Cheng, A. (2018). Intermittent metabolic switching, neuroplasticity and brain healthNature Reviews Neuroscience, 19(2), 63–80.

Ooi, T. C., Meramat, A., Rajab, N. F., Shahar, S., Ismail, I. S., Ahmad Azam, A., & Sharif, R. (2020). Intermittent fasting enhanced the cognitive function in older adults with mild cognitive impairment by inducing biochemical and metabolic changes: A 3-year progressive studyNutrients, 12(9), 2644.

Raefsky, S. M., & Mattson, M. P. (2016). Adaptive responses of neuronal mitochondria to bioenergetic challenges: Roles in neuroplasticity and disease resistanceFree Radical Biology and Medicine, 102, 203–216.

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Docteur en neuroscience cliniques et santé mentale, PhD
Membre associée au Laboratoire des Maladies du Système Nerveux, Neurosensorielles et du Handicap.
Professeur à l'école supérieure de psychologie

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