FOMO, ou l’anxiété de l’été parfait

L’été évoque spontanément le repos, les voyages et la liberté. Pourtant, pour beaucoup, cette saison devient une source de tension diffuse. À mesure que les journées s’allongent, une autre forme de pression s’installe : celle de devoir vivre des moments exceptionnels. Non seulement pour soi, mais aussi pour les montrer. Sous l’influence des réseaux sociaux, cette attente sociale se transforme parfois en anxiété, celle de rater quelque chose d’important. Un concert, un voyage, une soirée, un coucher de soleil. Ce sentiment porte un nom : le FOMO (Fear of Missing Out), la peur de passer à côté.

Derrière ce terme populaire se cache un phénomène bien plus profond. Le FOMO active des mécanismes cognitifs et émotionnels complexes, mêlant comparaison sociale, anticipation de récompense et vulnérabilité à l’exclusion. Il ne s’agit plus seulement d’envier ce que vivent les autres, mais de douter de ses propres choix, jusqu’à perdre le goût du présent. Pourquoi ce sentiment devient-il plus intense en été ? Et comment comprendre son impact sur notre équilibre psychologique ?

Dans la tête du FOMO

Le FOMO n’est pas une simple curiosité mal placée ou un caprice passager. Il s’appuie sur un ensemble de mécanismes cognitifs bien documentés, qui interagissent de manière persistante. À l’origine de cette peur de manquer se trouvent trois processus clés comme l’anticipation de récompense, la comparaison sociale et l’attention sélective.

Tout d’abord, notre cerveau anticipe sans cesse les bénéfices potentiels d’une action, être présent à un événement, participer à une activité ou rester informé d’une nouveauté. Cette anticipation active le système de la récompense, nous poussant à rechercher ce que nous pensons gratifiant, parfois même au détriment de l’expérience présente. Ne pas être là devient alors synonyme de perte. En parallèle, notre tendance spontanée à nous comparer aux autres joue un rôle central. Le FOMO ne naît pas seulement d’un manque objectif, mais du sentiment subjectif de passer à côté de ce que d’autres vivent. Ces comparaisons, parfois discrètes mais constantes, nourrissent un sentiment de dévalorisation ou d’insuffisance. Elles installent une forme de pression interne, être au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes. De plus, notre attention est particulièrement sensible aux signes d’exclusion. Un événement mentionné trop tard, une activité dont on entend parler sans y avoir été convié, ou simplement le constat d’une absence dans un cercle donné peuvent déclencher un inconfort marqué. Cette attention orientée vers ce qui nous échappe renforce l’impression d’être en retrait et entretient une vigilance émotionnelle permanente.

Les recherches menées par Andrew Przybylski et ses collègues de l’Université d’Oxford ont apporté un éclairage essentiel sur les fondements psychologiques du FOMO. Leur étude montre que cette peur est étroitement liée au besoin de connexion sociale. Lorsqu’un individu se sent en décalage, peu valorisé ou mis à l’écart, ce besoin non comblé se traduit par une forme d’alerte émotionnelle. Le FOMO agit alors comme un signal intérieur de déséquilibre social.

Or, cette dynamique s’intensifie durant l’été, une saison fortement investie sur le plan symbolique. Les normes sociales valorisent alors l’abondance d’activités, les voyages, les expériences partagées et les souvenirs marquants. Ne pas participer à cette effervescence collective peut être vécu comme un écart, voire comme un signe d’échec à répondre aux attentes implicites de performance sociale. Ce sentiment touche davantage les personnes ayant une estime de soi fragile ou une sensibilité particulière au regard des autres.

Dans ce contexte, le FOMO agit comme un révélateur de la pression saisonnière à « bien vivre ». Il exprime un tiraillement entre deux aspirations contradictoires : le besoin de repos et la crainte de passer à côté ; l’envie de ralentir et la peur d’être à l’écart. Il ne s’agit plus seulement de choisir ce qui nous convient, mais de se sentir contraint d’adhérer à une norme collective, souvent intériorisée. Le FOMO trahit alors une difficulté à s’autoriser une forme de liberté personnelle, surtout lorsque celle-ci s’éloigne des modèles dominants de réussite estivale.

Des vies rêvées sous filtre

Ce sentiment de décalage, déjà renforcé par les attentes sociales de la période estivale, est amplifié par l’usage intensif des réseaux sociaux. Des plateformes comme Instagram, TikTok ou Snapchat diffusent en continu des images soigneusement sélectionnées, mettant en scène des vacances idéales, des corps détendus, des instants de bonheur capturés au bon moment. Ces contenus, souvent éloignés de la réalité quotidienne, renforcent l’impression que tout le monde vit mieux, ailleurs, et sans vous.

Ce mécanisme repose sur un biais de visibilité, seules les expériences valorisantes, esthétiques ou socialement enviables sont mises en avant. La banalité, l’ennui, ou même le repos discret n’ont pas leur place dans cette vitrine. Cette exposition sélective alimente un cycle de comparaison sociale défavorable. Plus on consulte ces contenus, plus on se sent en retrait, ce qui accentue le besoin de rester connecté, de vérifier, de publier à son tour, dans l’espoir de combler ce vide latent.

Plusieurs études empiriques confirment cette dynamique. L’usage excessif des réseaux sociaux est associé à une augmentation des sentiments d’exclusion, à une baisse du bien-être subjectif, et à une forme de dépendance psychologique à la validation extérieure. Le FOMO devient alors un cercle vicieux auto-entretenu, il pousse à consulter davantage, tout en renforçant la sensation de manque.

L’été sous pression : quand le bonheur devient une norme sociale

Si les réseaux sociaux nourrissent le sentiment de manquer quelque chose, l’été en intensifie les effets. Cette saison, associée à la détente et à l’épanouissement, se charge progressivement d’une valeur normative : il faudrait la réussir. Sortir, voyager, se montrer entouré et heureux devient presque une obligation implicite. Loin d’être neutre, cette attente sociale façonne une norme du bonheur estival à laquelle il devient difficile d’échapper.

Cette norme repose sur un idéal largement diffusé par les médias et les plateformes numériques. Un été réussi serait forcément actif, esthétique et partagé. En arrière-plan se dessine une forme de performance émotionnelle, il ne suffit plus de se sentir bien, il faut que cela se voie. Ce décalage entre le vécu réel et l’image attendue génère une tension silencieuse. Le simple fait de ne rien publier sur sa page, ou de vivre des moments simples, peut susciter un malaise diffus, comme si l’on passait à côté de quelque chose.

Dans ce contexte, le FOMO agit comme un révélateur des contradictions contemporaines entre vie intime et pression sociale. Plusieurs recherches montrent que ce phénomène a des effets mesurables sur la santé psychologique. En interrogeant plus de 2 000 participants, les chercheurs de l’Université Carleton ont mis en évidence un lien fort entre FOMO, diminution de la satisfaction de vie, augmentation du stress perçu et réduction de la pleine attention au moment présent. L’expérience immédiate est parasitée par l’inquiétude de ce qui pourrait se passer ailleurs. L’étude met également en évidence plusieurs facteurs associés à une intensité accrue du FOMO : une faible estime de soi, une tendance à la comparaison sociale ascendante, et des difficultés à réguler ses émotions. Ces traits favorisent un besoin accru de validation externe et une sensibilité aux jugements implicites. L’adolescence, période où l’image sociale prend une importance particulière, constitue également un terrain favorable à cette dynamique. Mais elle touche aussi les adultes perfectionnistes, soucieux de tirer le « meilleur » de leur temps libre.

Plus qu’un simple inconfort personnel, le FOMO reflète donc une tension collective. L’expérience subjective devient sans cesse mise en rapport avec des standards idéalisés, souvent inaccessibles. Cette pression peut détériorer la qualité des relations sociales réelles, favoriser une hypervigilance émotionnelle et engendrer une insatisfaction chronique, même dans les contextes les plus propices au bien-être.

L’été, censé offrir une parenthèse, devient alors un théâtre de mise en scène. Dans ce contexte, retrouver une forme de liberté intérieure suppose de rompre avec cette logique de visibilité permanente. Limiter l’exposition numérique, revaloriser les moments ordinaires, ou simplement accepter l’absence d’événements marquants deviennent des gestes de résistance. Il ne s’agit pas de rejeter le plaisir, mais de le désolidariser de la nécessité de le prouver.

Références

Milyavskaya, M., Saffran, M., Hope, N., & Koestner, R. (2018). Fear of missing out: prevalence, dynamics, and consequences of experiencing FOMO. Motivation and Emotion, 42(5), 725–737.

Przybylski, A. K., Murayama, K., DeHaan, C. R., & Gladwell, V. (2013). Motivational, emotional, and behavioral correlates of fear of missing out. Computers in Human Behavior, 29(4), 1841–1848.

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