Déclin cognitif : Quand le chromosome X sort de son silence
Pendant des décennies, le vieillissement cérébral a été étudié presque exclusivement sous l’angle hormonal, métabolique ou inflammatoire. Mais une découverte récente suggère qu’il faut peut-être chercher plus en profondeur, jusque dans l’organisation même du génome. Des chercheuses de l’Université de Californie à San Francisco viennent de montrer que, chez les femelles, le chromosome X inactif, normalement silencieux pour éviter une double expression des gènes, se réveille partiellement avec l’âge dans certaines cellules du cerveau. Cette réactivation progressive, observée dans l’hippocampe, pourrait influencer la mémoire, la plasticité neuronale et la résistance au déclin cognitif.
Le mystère du chromosome X silencieux
Chez toutes mammifères femelles, chaque cellule porte deux chromosomes X. Pour maintenir un équilibre avec les mâles, qui n’en possèdent qu’un, l’un des deux X est presque totalement inactivé au début du développement embryonnaire. Ce mécanisme, appelé inactivation du chromosome X (X-chromosome inactivation, ou XCI), transforme le deuxième X en une structure condensée et silencieuse, le chromosome Xi. Jusqu’à récemment, on pensait que cette inactivation restait stable toute la vie.
Mais grâce à l’avènement des technologies de séquençage à noyaux isolés (single-nucleus RNA-seq), il est désormais possible de suivre, cellule par cellule, l’activité génétique au sein de tissus complexes comme le cerveau. C’est en appliquant cette approche à des souris jeunes et âgées que l’équipe de Margaret Gadek a mis en évidence un phénomène inattendu : avec le vieillissement, certaines cellules de l’hippocampe se mettent à réactiver des gènes normalement éteints sur le chromosome X inactif.
Quand le silence génétique se fissure
L’étude, publiée en mars 2025 dans Science Advances, a comparé l’expression génique de milliers de cellules issues d’hippocampes de souris jeunes (3 mois) et âgées (24 mois). Les analyses ont révélé que plusieurs gènes du chromosome X, jusque-là silencieux, se réactivent partiellement avec l’âge. Ce processus, baptisé X-escape, ne concerne pas toutes les cellules, mais principalement les oligodendrocytes, ces cellules qui produisent la myéline, substance essentielle à la conduction de l’influx nerveux, et certains neurones pyramidaux impliqués dans la mémoire spatiale.
Les chercheuses ont observé que cette réactivation n’était pas due à une mutation, mais à une perte progressive du contrôle épigénétique : les marques chimiques qui maintiennent le chromosome X silencieux (comme la méthylation de l’ADN et la compaction des histones) s’affaiblissent avec le temps. Ce relâchement du silence génétique conduit à l’expression de gènes jusque-là dormants. Autrement dit, le vieillissement fait “fuir” le silence du chromosome X, provoquant une sorte de bruit de fond génétique qui altère l’équilibre de l’expression dans certaines cellules cérébrales.
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Un nouvel angle sur le vieillissement féminin
Parmi les gènes réactivés, un a particulièrement retenu l’attention des chercheuses : Plp1 (proteolipid protein 1), codant pour une protéine majeure de la myéline. Ce gène, exprimé à un niveau inhabituellement élevé dans les cellules gliales des femelles âgées, semble jouer un rôle paradoxal : alors qu’on pourrait craindre un effet délétère de cette réactivation, il s’avère qu’elle protège en partie la fonction cognitive.
Pour le vérifier, l’équipe a utilisé des souris génétiquement modifiées, chez lesquelles Plp1 pouvait être activé de manière contrôlée. Les résultats sont étonnants : les souris âgées présentant une expression renforcée de Plp1 montrent de meilleures performances dans des tests de mémoire spatiale et de reconnaissance d’objets. En revanche, l’inhibition de ce gène aggrave les déficits mnésiques. Ce résultat suggère que le relâchement partiel du silence du chromosome X pourrait, dans certains cas, constituer un mécanisme adaptatif, voire protecteur, plutôt qu’un simple dysfonctionnement.
Jusqu’ici, la plupart des études sur le vieillissement cérébral féminin se concentraient sur la chute des hormones sexuelles ou les risques accrus de maladies neurodégénératives après la ménopause. Cette nouvelle recherche introduit une dimension inédite : le rôle du patrimoine génétique lui-même. Chez la femme, le cerveau héberge une mosaïque de cellules exprimant soit le X maternel, soit le X paternel, une diversité qui pourrait influencer la résilience neuronale au fil du temps. Si le chromosome X inactif commence à « s’échapper » de son silence, cela pourrait réactiver des gènes jusque-là dormants et rétablir, au moins partiellement, certaines fonctions cellulaires.
Ce phénomène n’est pas nécessairement bénéfique dans tous les cas : une réactivation anarchique pourrait perturber la régulation fine des gènes liés à la croissance, au métabolisme ou à l’inflammation. Mais dans l’hippocampe, les chercheuses suggèrent qu’un équilibre s’installe : un “réveil” modéré du chromosome X pourrait soutenir les cellules les plus sollicitées, notamment celles impliquées dans la mémoire et la plasticité synaptique.
Ces découvertes ouvrent un champ de recherche entièrement nouveau : celui de la plasticité épigénétique du chromosome X. Loin d’être figé, le génome féminin montre une capacité d’adaptation jusque-là insoupçonnée. Ce processus d’« échappement » au silence pourrait même expliquer certaines différences de longévité et de résistance cognitive observées entre les sexes.
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L’équipe californienne envisage désormais d’étudier si des phénomènes similaires se produisent chez la femme, et notamment dans les régions du cerveau affectées par le vieillissement pathologique, comme l’hippocampe ou le cortex entorhinal. Si tel est le cas, cela pourrait conduire à repenser la manière dont on aborde le vieillissement cérébral féminin, en tenant compte non seulement des facteurs hormonaux, mais aussi de la régulation chromosomique.
Au-delà de son intérêt biologique, cette découverte illustre un principe plus large : le vieillissement ne se réduit pas à une simple usure des cellules, mais à une reprogrammation progressive de l’identité génétique. Le cerveau, loin d’être un organe figé, ajuste en permanence l’expression de ses gènes pour préserver ses fonctions essentielles. Chez la femelle, ce dialogue moléculaire passe aussi par un acteur longtemps négligé : le chromosome X inactif. Qu’il soit adaptatif ou annonciateur d’un déséquilibre plus large, ce réveil partiel du X témoigne de la complexité du vieillissement. Il rappelle que l’âge n’est pas seulement un facteur de déclin, mais aussi un moment de réorganisation, où le silence des gènes pourrait se transformer en une nouvelle forme de plasticité.
Référence
Gadek, M., Shaw, C. K., Abdulai-Saiku, S., Saloner, R., Marino, F., Wang, D., Bonham, L. W., Yokoyama, J. S., Panning, B., Benayoun, B. A., Casaletto, K. B., Ramani, V., & Dubal, D. B. (2025). Aging activates escape of the silent X chromosome in the female mouse hippocampus. Science advances, 11(10), eads8169.
