Les cellules souches du cerveau face au temps

Le cerveau humain, cette fabuleuse architecture de milliards de neurones interconnectés, a longtemps été considéré comme figé une fois la maturité atteinte. Pendant des décennies, la science a entretenu l’idée que, contrairement aux autres tissus du corps, il ne possédait pas de véritable capacité de régénération. Or, cette vision a volé en éclats avec la découverte des cellules souches neurales (NSCs), ces cellules singulières capables de produire de nouveaux neurones tout au long de la vie. Une promesse fascinante qui soulève immédiatement une question vertigineuse : que devient cette capacité régénérative avec l’âge ?

Récemment, une étude pionnière menée à l’Université de Stanford et publiée dans la prestigieuse revue Nature a apporté un éclairage inédit sur les mécanismes du vieillissement des cellules souches neurales. À l’aide des outils de la génétique moderne, notamment la technologie CRISPR–Cas9, les chercheurs ont identifié plusieurs gènes jouant un rôle crucial dans la perte de réactivité des NSCs vieillissantes. Parmi ces gènes, un acteur inattendu a émergé : Slc2a4, codant pour le transporteur de glucose GLUT4. La suppression de ce gène a permis une restauration spectaculaire de l’activité des NSCs âgées, ouvrant ainsi une nouvelle voie de recherche sur le vieillissement cérébral.

Cette découverte soulève de nombreuses implications, tant sur le plan fondamental que pour le développement d’éventuelles thérapies visant à ralentir, voire inverser, le déclin neuronal lié à l’âge. Comment les cellules souches du cerveau interagissent-elles avec le temps ? Pourquoi finissent-elles par perdre leur vigueur ? Et surtout, est-il possible de réactiver leur potentiel régénératif ?

Les cellules souches neurales et leur rôle dans le cerveau adulte

Contrairement à l’image d’un cerveau figé, il existe plusieurs zones dans lesquelles se produisent encore de nouvelles cellules neuronales à l’âge adulte. La plus active de ces zones est située dans la zone sous-ventriculaire (SVZ), une région nichée le long des ventricules latéraux du cerveau. Là, des cellules souches quiescentes (qNSCs) patientent, prêtes à s’activer et à donner naissance à de nouveaux neurones qui migreront vers le bulbe olfactif. Une autre zone clé, la zone sous-granulaire de l’hippocampe, produit également de nouveaux neurones, essentiels aux processus de mémoire et d’apprentissage.

Contrairement à d’autres tissus du corps humain qui possèdent des cellules souches réparties plus largement (comme la moelle osseuse), les NSCs adultes sont confinées à des niches spécifiques afin de maintenir une plasticité cérébrale contrôlée. Cette localisation restreinte s’explique par plusieurs facteurs biologiques et environnementaux. D’abord, les niches neurogéniques fournissent un environnement biochimique et cellulaire unique, essentiel à la survie et à l’activation des cellules souches. Elles sont enrichies en facteurs de croissance, qui régulent leur cycle de vie. Sans ces signaux, les NSCs ont peu de chances de proliférer et de se différencier en neurones fonctionnels. De plus, ces niches sont étroitement liées au réseau vasculaire cérébral, qui leur apporte oxygène, nutriments et molécules signalétiques nécessaires à leur maintien en état de dormance ou d’activation.

Mais cette capacité proliférative n’est pas infinie. Avec l’âge, les NSCs basculent progressivement dans un état de dormance dont elles peinent à s’extraire. Ce phénomène entraîne une diminution de la production de nouveaux neurones, et par conséquent une altération des capacités de régénération cérébrale. Le vieillissement semble ainsi sceller le destin des NSCs en les enfermant dans une léthargie biologique dont il est difficile de les tirer.

Une enquête génétique sur la sénescence des cellules souches

L’étude menée par Tyson J. Ruetz et ses collègues a précisément cherché à comprendre pourquoi les NSCs âgées restent coincées dans cet état de quiescence. Pour cela, les chercheurs ont utilisé la technologie CRISPR–Cas9 pour désactiver des milliers de gènes, afin d’identifier ceux impliqués dans le vieillissement des NSCs, à la fois in vitro et in vivo.

Ils ont ainsi comparé des NSCs issues de souris jeunes (3–4 mois) et de souris âgées (18–21 mois), et ont testé l’impact de plus de 23 000 inactivations génétiques. Leur approche leur a permis d’identifier plus de 300 gènes impliqués dans la perte de capacité régénérative des NSCs avec l’âge.

Deux grandes classes de gènes ont particulièrement retenu l’attention : ceux qui régulent l’activité des NSCs et ceux impliqués dans le métabolisme du glucose, notamment Slc2a4, qui code pour GLUT4, un transporteur de glucose. Ce dernier a révélé une surprise inattendue. Les chercheurs ont découvert que les NSCs âgées absorbent plus de glucose que les jeunes, mais au lieu de les activer, cet excès les maintient dans un état de dormance prolongée. Autrement dit, au lieu de fournir l’énergie nécessaire à leur réveil, ce surplus semble les figer dans l’inactivité.

Un excès de glucose délétère pour la régénération neuronale

La découverte du rôle du glucose dans le vieillissement des NSCs a des implications profondes. GLUT4, connu pour être un transporteur clé du glucose dans les muscles et les cellules adipeuses, joue ici un rôle inattendu. Les chercheurs ont démontré que son expression augmente dans les NSCs vieillissantes, et que cette surconsommation de glucose empêche leur activation.

Poussant l’analyse plus loin, l’équipe a testé une approche simple mais efficace : réduire l’absorption du glucose en inactivant Slc2a4. Le résultat a été saisissant : les NSCs âgées se sont remises à proliférer et à générer de nouveaux neurones, retrouvant une dynamique proche de celle observée chez les souris jeunes.

Cette observation s’inscrit dans un cadre plus large de recherche sur l’impact du métabolisme sur le vieillissement. De nombreuses études ont montré que la restriction calorique pouvait prolonger la durée de vie et préserver les fonctions cognitives. L’idée que les NSCs pourraient être prisonnières d’un excès métabolique et qu’un jeûne temporaire ou une modulation du métabolisme du glucose puisse les réactiver ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques.

D’un point de vue clinique, cette découverte ouvre la voie à des stratégies inédites. Plutôt que de chercher à injecter des cellules souches exogènes, une approche plus subtile consisterait à moduler l’environnement métabolique du cerveau pour réveiller les NSCs dormantes. Une telle approche pourrait s’appuyer sur des interventions nutritionnelles, pharmacologiques, voire des techniques de neurostimulation.

Cette étude révèle que les cellules souches du cerveau ne s’éteignent pas avec le temps, mais qu’elles sombrent dans un état de dormance, freinées par un environnement qui ne leur permet plus de s’activer. Si nous parvenons à lever ces barrières biologiques, à réveiller leur potentiel caché, alors nous pourrions ralentir la vitesse du déclin cérébral lié au vieillissement. Développer des stratégies capables de réactiver ces cellules endormies ne serait pas seulement une avancée scientifique, ce serait une révolution profondément humaine, ouvrant la voie à un vieillissement où la perte des fonctions cognitives ne serait plus une fatalité, mais un processus que l’on pourrait moduler, voire inverser.

Références :

T. J. Ruetz et al.CRISPR-Cas9 screens reveal regulators of ageing in neural stem cellsNature, 2024.

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