La dopamine au cœur de l’extinction de la peur
La peur est un instinct vital. Elle alerte, protège et assure la survie. Mais lorsque ce mécanisme se dérègle, la peur s’installe durablement : le souvenir du danger persiste même après la disparition de la menace. C’est ce qui se produit dans certaines phobies ou dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT), où le cerveau continue à réagir à des signaux qui ne représentent plus aucun risque.
Depuis des décennies, les neurosciences explorent les circuits de cette émotion. L’amygdale, située au cœur du cerveau, joue un rôle central dans la mémorisation du danger. Elle relie un stimulus neutre (un son, une image) à une expérience négative, créant ainsi une trace émotionnelle durable. Mais le cerveau dispose aussi d’un mécanisme inverse, appelé extinction de la peur, par lequel il apprend qu’un signal autrefois menaçant est désormais inoffensif.
Jusqu’à récemment, ce processus était principalement attribué au cortex préfrontal, censé inhiber les réponses de l’amygdale. Or, une nouvelle étude publiée en 2025 dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) suggère un acteur inattendu : la dopamine, ce neurotransmetteur souvent associé au plaisir et à la récompense.Une découverte prometteuse qui redéfinit les liens entre récompense et émotion.
La dopamine au cœur de l’apprentissage émotionnel
Les chercheurs ont mené leurs expériences chez la souris. Dans un premier temps, les animaux ont été conditionnés à associer un son à un léger choc électrique, un procédé classique pour étudier l’apprentissage de la peur : après quelques répétitions, le simple son suffit à provoquer une réaction de panique, même en l’absence de choc.
Puis vient la phase d’extinction, un moment crucial où le son est rejoué, mais sans aucune conséquence négative. Peu à peu, l’animal comprend qu’il n’y a plus de danger : le cerveau apprend à “désactiver” la peur. Ce processus ne consiste pas à oublier, mais à réévaluer le signal — à comprendre qu’il ne prédit plus de menace.
Pendant cette phase, l’équipe a observé, dans l’aire tegmentale ventrale (VTA), une région du cerveau productrice de dopamine, une forte activation neuronale au moment où la peur s’atténuait. Ces neurones dopaminergiques envoient leurs signaux vers l’amygdale, le centre de la mémoire émotionnelle. Là, ils modulent l’activité d’un groupe de neurones liés non pas à la menace, mais à la sécurité.
En d’autres termes, la dopamine pourrait aider le cerveau à reclasser une situation autrefois perçue comme dangereuse en une expérience neutre, voire apaisante. Ce n’est donc pas l’oubli de la peur, mais sa transformation : un apprentissage émotionnel où la sécurité remplace la menace. Ces résultats indiquent que le système de la récompense pourrait participer à la désactivation de la peur. Cependant, les auteurs soulignent que ce phénomène a été observé dans un modèle animal et qu’il reste à vérifier si les mêmes mécanismes existent chez l’être humain.
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Une hypothèse prometteuse, mais encore à confirmer
Cette nouvelle étude apporte un éclairage original sur la manière dont le cerveau réécrit la mémoire de la peur. Elle suggère que la dopamine, loin de se limiter à la recherche du plaisir, participerait aussi à la construction du sentiment de sécurité. La peur ne s’effacerait pas par simple inhibition, mais par un apprentissage émotionnel positif : l’absence de danger deviendrait une forme de récompense. Ainsi, les émotions dites “positives” et “négatives” ne sont pas opposées, mais profondément imbriquées. Le même neurotransmetteur qui pousse à rechercher la récompense pourrait aussi aider à surmonter la peur. Le cerveau, loin d’être une simple machine de défense, apparaît comme un système d’équilibre, capable de transformer la menace en apprentissage.
Si cette hypothèse se confirme, elle pourrait avoir des implications importantes pour la compréhension et le traitement des troubles anxieux. Les thérapies d’exposition, qui consistent à confronter progressivement le patient à ses peurs dans un contexte sécurisé, reposent justement sur l’extinction de la peur. Renforcer ce processus par une modulation dopaminergique pourrait, un jour, en améliorer l’efficacité.
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Mais la prudence reste de mise. Comme le rappellent les auteurs, ces travaux ne démontrent pas encore un lien causal direct entre dopamine et extinction de la peur chez l’humain. Ils ouvrent une piste de recherche, mais ne constituent pas une preuve définitive. Les circuits émotionnels du cerveau sont complexes, et leurs interactions varient selon les espèces et les contextes. D’autres travaux seront nécessaires pour confirmer ce mécanisme et en définir les contours. En attendant, rappelons que la peur n’est pas seulement à combattre : elle est à comprendre, à apprivoiser, et peut-être, un jour, à transformer. Si la dopamine aide le cerveau à désarmer la peur, c’est qu’au cœur même des émotions les plus primitives réside déjà la promesse du changement.
Référence
Zhang, X., Flick, K., Rizzo, M., Pignatelli, M., & Tonegawa, S. (2025). Dopamine induces fear extinction by activating the reward-responding amygdala neurons. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 122(18), e2501331122.
