Le Mind blanking : Quand le cerveau se met en pause

Le fonctionnement de la pensée humaine est souvent décrit comme un flux ininterrompu d’images, de mots et de souvenirs. Pourtant, chacun a déjà fait l’expérience d’un vide intérieur, d’un moment où il semble n’y avoir ni pensée claire ni contenu identifiable. Ce phénomène, que les chercheurs appellent mind blanking, suscite depuis quelques années un intérêt croissant dans le champ des sciences cognitives. S’agit-il d’une véritable absence de contenu mental ou d’une difficulté passagère à accéder à ce contenu ? Derrière cette interrogation se cachent des enjeux théoriques et cliniques majeurs, puisqu’il s’agit de savoir si le vide mental constitue un état de conscience spécifique ou une simple variation d’autres états connus, comme la distraction, le rêve éveillé ou la somnolence.

Quand la pensée s’interrompt

La recherche sur les états mentaux s’est longtemps focalisée sur les contenus de la pensée, qu’il s’agisse de la mémoire, de l’attention ou encore du mind wandering, ce vagabondage intérieur où l’attention s’éloigne de la tâche en cours. Le mind blanking se distingue de ces phénomènes en semblant aller un pas plus loin : les participants rapportent alors ne penser à rien, comme si la trame cognitive elle-même s’effaçait. Cette expérience reste pourtant difficile à définir, car elle peut recouvrir des réalités différentes. Pour certains chercheurs, elle traduit un déficit momentané de mémoire ou d’attention, tandis que d’autres y voient une véritable absence de conscience accessible.

C’est pour clarifier ces ambiguïtés qu’en juillet 2025, une équipe internationale dirigée par Thomas Andrillon, de l’Institut du Cerveau à Paris, publie dans Trends in Cognitive Sciences une revue de la littérature qui analyse les mécanismes comportementaux et cérébraux du mind blanking et propose un modèle intégratif. Leur travail s’appuie sur une comparaison de méthodes expérimentales variées. Dans les protocoles d’échantillonnage de l’expérience, par exemple, les participants sont interrompus de manière aléatoire au cours d’une tâche et doivent décrire l’état de leur pensée juste avant l’interruption. Le mind blanking apparaît alors comme une catégorie distincte, à côté des options « concentré sur la tâche » ou « pensées distraites ». D’autres études reposent sur l’auto-déclaration, où les participants signalent eux-mêmes un épisode de vide mental. Malgré leurs différences, ces approches convergent pour montrer que le phénomène est rapporté dans 5 à 20 % des cas. Moins fréquent que le mind wandering, il se manifeste néanmoins assez régulièrement pour constituer un objet d’étude à part entière.


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Les données comportementales viennent renforcer cette distinction. Les chercheurs constatent que, juste avant de rapporter un vide mental, les participants ralentissent dans leurs réponses et commettent davantage d’erreurs. Ces indices témoignent d’un relâchement de la vigilance, semblable à celui observé lors de la fatigue, de la privation de sommeil ou après un effort soutenu. Pourtant, le phénomène n’apparaît pas uniquement dans ces situations d’épuisement : il survient également au repos, et de façon relativement stable tout au long d’une session expérimentale. L’ensemble de ces observations suggère donc que le mind blanking ne correspond pas simplement à une défaillance ponctuelle, mais qu’il constitue une configuration mentale spécifique, suffisamment robuste pour être étudiée comme un état cognitif distinct.

Signatures neuronales du vide mental

L’intérêt central de cette recherche est d’avoir mis en relation ce que les participants disent vivre – ce sentiment de vide mental – avec des mesures directes de l’activité du cerveau. Grâce à l’électroencéphalographie (EEG), les chercheurs observent que l’activité électrique enregistrée au niveau pariétal, une région essentielle pour intégrer les informations sensorielles et orienter l’attention, devient moins complexe et se charge davantage d’ondes lentes. Ces ondes, souvent associées au sommeil, traduisent une baisse de vigilance. Le mind blanking apparaît ainsi comme un état intermédiaire : certaines zones du cerveau adoptent une dynamique proche de l’endormissement, mais la personne reste pourtant éveillée et réactive.

L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) apporte une autre clé de lecture. Elle montre que les régions corticales, habituellement organisées en réseaux spécialisés (par exemple pour le langage, la vision ou la mémoire), tendent à fonctionner de manière plus uniforme et synchronisée. Cette homogénéisation reflète un effacement des frontières entre réseaux, ce qui pourrait expliquer pourquoi il devient difficile de maintenir une pensée claire ou un contenu mental stable.

Les chercheurs soulignent toutefois que ces signatures ne sont pas uniformes : un vide mental volontairement induit, comme dans certaines pratiques méditatives, ne mobilise pas les mêmes circuits qu’un vide spontané survenant au cours d’une tâche de vigilance. Cette diversité confirme que le mind blanking n’est pas une illusion ou une simple distraction, mais un état mesurable, reconnaissable à la fois dans le comportement et dans les signatures cérébrales.


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Dans la continuité des observations comportementales et neuronales, Andrillon et ses collègues proposent un modèle qui situe le mind blanking sur un axe défini par le niveau d’éveil, ou arousal. Lorsque ce niveau est trop bas, comme dans la somnolence, apparaissent des ondes lentes et une désactivation de certains réseaux corticaux, ce qui limite l’accès à un contenu de pensée. À l’inverse, un éveil trop élevé, associé à une activité interne surchargée, empêche la stabilisation de représentations claires et conduit paradoxalement au même sentiment de vide. Ce cadre physiologique explique pourquoi le phénomène peut se manifester aussi bien dans des situations de fatigue que dans des contextes de forte stimulation. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une absence totale d’expérience, mais d’une difficulté à la rendre disponible pour le rapport subjectif. Autrement dit, l’expérience se déroule, mais les circuits qui permettent de la rappeler ou de la formuler sont temporairement inaccessibles.

Cette perspective remet en cause l’un des postulats majeurs des théories actuelles de la conscience, selon lequel tout état conscient doit être défini par un contenu perceptif, émotionnel ou conceptuel. Le mind blanking montre qu’il existe des états accessibles au témoignage direct mais dépourvus de contenu identifiable. Comme cela a été admis pour le rêve, aujourd’hui reconnu comme une expérience ancrée dans un état neurophysiologique particulier, les modèles devront désormais intégrer cette possibilité. Ce phénomène invite ainsi à réviser nos conceptions de la conscience, en la considérant non seulement comme un flux de pensées et d’images, mais aussi comme un espace où peut surgir un silence intérieur, que la science commence à explorer avec rigueur.

Référence

T. Andrillon et al.Where is my mind ? A neurocognitive investigation of mind blankingTrends in Cognitive Sciences, 2025.

L’équipe Neuro & Psycho
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