Du spectre à la chute : L’étrange fil rouge entre autisme et Parkinson
Depuis plusieurs décennies, les neurosciences ont établi une distinction nette entre deux types de troubles cérébraux. D’un côté, les troubles neurodéveloppementaux, qui apparaissent tôt dans la vie et reflètent des anomalies dans la maturation du cerveau ; de l’autre, les maladies neurodégénératives, qui se manifestent plus tard, en lien avec le déclin progressif de certaines structures neuronales. Cette séparation, longtemps considérée comme évidente, a structuré la compréhension des pathologies cérébrales. Pourtant, cette frontière conceptuelle est aujourd’hui remise en question. Des données cliniques récentes montrent que les personnes autistes, diagnostiquées dès l’enfance pour des différences dans la communication, la régulation émotionnelle ou le comportement, présentent un risque significativement plus élevé de développer, des années plus tard, une maladie comme Parkinson, classiquement associée au vieillissement.
Cette cooccurrence inattendue questionne nos modèles. Comment un trouble du développement pourrait-il préparer le terrain à une maladie neurodégénérative ? Existe-t-il un terrain biologique commun, une vulnérabilité sous-jacente qui s’exprime d’abord sous forme de traits autistiques, puis évolue lentement vers des atteintes motrices ? Ces questions ne relèvent plus du simple recoupement clinique, elles obligent à reconsidérer les trajectoires cérébrales dans leur continuité, du début de la vie jusqu’à ses stades plus tardifs. En explorant cette hypothèse, les neurosciences ouvrent une nouvelle voie, celle d’une compréhension intégrée du cerveau, où les troubles ne sont plus des entités isolées, mais des expressions successives d’un déséquilibre profond et durable.
Ce que révèle le croisement entre autisme et Parkinson
Que l’autisme et la maladie de Parkinson appartiennent à deux univers cliniques distincts semble aller de soi : l’un se manifeste dès l’enfance, l’autre surgit le plus souvent dans le grand âge. Cette distinction repose sur une intuition temporelle forte, le développement versus la dégénérescence. Pourtant, à la lumière des avancées en neurologie fonctionnelle et en épidémiologie, cette opposition perd de sa netteté.
Des convergences biologiques commencent à émerger entre ces deux entités. Elles concernent notamment le système dopaminergique, impliqué aussi bien dans la régulation de la motricité que dans les comportements sociaux, mais aussi le fonctionnement du cervelet, de plus en plus reconnu pour son rôle dans la cognition et l’émotion. À cela s’ajoutent des altérations communes du sommeil, en particulier du sommeil paradoxal, souvent considéré comme un marqueur sensible des déséquilibres neurobiologiques profonds. Ces points communs ne relèvent pas du hasard et suggèrent que certains mécanismes neuronaux impliqués dans le développement atypique pourraient aussi participer, à long terme, à un processus de déclin.
C’est dans ce contexte que s’inscrit une étude récente conduite par l’équipe du Joseph Firth à l’Université de Californie. L’objectif était de déterminer si un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA) pouvait être associé à un risque accru de développer une maladie parkinsonienne. Pour cela, les chercheurs ont analysé une vaste base de données regroupant plus de 2,6 millions de cas cliniques, parmi lesquels figuraient près de 87 000 personnes présentant un diagnostic de TSA. Les résultats de l’étude indiquent que les adultes autistes présentent un risque presque trois fois plus élevé de recevoir un diagnostic de maladie de Parkinson avant l’âge de 65 ans, en comparaison avec la population générale. Cette tendance demeure significative même après avoir pris en compte des variables confondantes telles que les antécédents psychiatriques, les comorbidités médicales ou encore les traitements pharmacologiques. L’étude vient ainsi renforcer l’hypothèse d’un lien structurel entre certaines vulnérabilités cérébrales précoces et des processus neurodégénératifs tardifs. Loin d’un simple artefact statistique, ce recoupement interroge en profondeur notre compréhension des trajectoires pathologiques du cerveau.
Un point particulièrement frappant émerge de l’analyse est celui de la distribution selon le sexe. Alors que la maladie de Parkinson touche classiquement davantage les hommes, cette tendance s’inverse dans la population autiste. Ce sont en effet les femmes autistes qui présentent, dans cette étude, le risque relatif le plus élevé de développer la maladie. Ce renversement du schéma habituel interroge sur les facteurs spécifiques à l’interaction entre genre, autisme et vulnérabilité cérébrale. Il met également en lumière la nécessité de mieux comprendre les expressions féminines du TSA, souvent sous-diagnostiquées, et leur évolution à long terme.
Ces résultats épidémiologiques ne se contentent pas de dresser une corrélation. Ils obligent à envisager que certains profils neurologiques, identifiés dès l’enfance, ne se stabilisent pas nécessairement avec le temps, mais peuvent évoluer vers d’autres formes d’altération. L’idée d’une trajectoire cérébrale continue, marquée par une sensibilité particulière de certains circuits neuronaux, prend ici tout son sens. Elle invite à abandonner une vision figée des diagnostics au profit d’une approche dynamique, qui considère les vulnérabilités cérébrales comme des processus évolutifs, influencés par le temps, les environnements et les transitions biologiques. Ainsi, la mise en évidence d’un lien statistique entre autisme et Parkinson ne constitue pas une simple anomalie dans les données. Elle suggère l’existence d’un terrain commun, encore mal compris, mais dont la reconnaissance pourrait modifier en profondeur notre manière d’anticiper et de prendre en charge les trajectoires neurocognitives sur le long terme.
Autisme et Parkinson : Les deux visages d’un même dérèglement neuronal
Pour mieux comprendre le lien entre autisme et maladie de Parkinson, il faut se pencher sur un acteur clé du fonctionnement cérébral : le système dopaminergique. Ce réseau de neurones utilise la dopamine, un neurotransmetteur essentiel à la régulation du mouvement, de la motivation, et de l’attention. Dans la maladie de Parkinson, c’est la dégénérescence progressive des neurones dopaminergiques situés dans une région appelée la substance noire qui provoque les troubles moteurs typiques, comme les tremblements, la raideur ou la lenteur des gestes.
Ce même système semble également impliqué dans l’autisme, mais d’une manière différente. Plusieurs recherches en neuroimagerie et en pharmacologie montrent que les personnes autistes présentent souvent une activité dopaminergique altérée. Cela peut prendre la forme d’une libération réduite de dopamine, d’une réponse moins sensible des récepteurs, ou d’un déséquilibre entre les différentes régions cérébrales qui utilisent ce neurotransmetteur.
Ces dysfonctionnements ne sont pas sans conséquence. Ils pourraient créer, dès le plus jeune âge, une fragilité durable dans certains circuits du cerveau. Or, cette fragilité pourrait rendre ces réseaux plus vulnérables à une détérioration progressive avec l’âge. C’est ce que suggèrent certains signes observés chez des patients autistes : raideurs musculaires, mouvements répétitifs, ou initiation motrice lente. Ces manifestations, souvent interprétées comme des traits comportementaux liés au TSA, pourraient aussi refléter une sensibilité neurologique similaire à celle qui précède les premiers signes cliniques de Parkinson.
Ainsi, l’idée d’un système dopaminergique perturbé dans les deux troubles permet d’envisager une continuité biologique. Elle renforce l’hypothèse d’un terrain cérébral commun, où des altérations précoces n’auraient pas seulement des effets immédiats sur le développement, mais pourraient aussi influencer l’évolution neurologique à long terme.
Une nouvelle lecture des vulnérabilités cérébrales
Le lien désormais établi entre le trouble du spectre de l’autisme (TSA) et la maladie de Parkinson soulève des enjeux cliniques concrets, notamment en ce qui concerne le suivi médical des personnes autistes. Si ces dernières présentent un risque accru de développer une maladie parkinsonienne précocement, comme l’indiquent les données récentes, alors une vigilance clinique adaptée devient indispensable. Des signes tels que des modifications de la motricité fine, une posture inhabituelle, des troubles de la parole ou des altérations du sommeil peuvent être négligés ou attribués par défaut au TSA. Pourtant, ces manifestations pourraient signaler le début d’un processus neurodégénératif. Leur identification précoce permettrait une intervention plus ciblée, à un stade où les marges de manœuvre thérapeutique restent plus larges.
Mais les implications de ce rapprochement dépassent la seule clinique. Elles viennent interroger la structure même de nos classifications. La dichotomie classique entre troubles du développement réservés à l’enfance, et pathologies neurodégénératives cantonnées au vieillissement, repose sur une conception linéaire et cloisonnée du fonctionnement cérébral. Or, les résultats accumulés ces dernières années montrent qu’une même vulnérabilité biologique peut s’exprimer de façon variable selon l’âge, les contextes de vie et les facteurs environnementaux. Autrement dit, ce que nous considérons comme deux entités distinctes pourrait n’être que deux étapes d’une même trajectoire.
Cette perspective appelle une approche plus souple et évolutive, centrée non sur des étiquettes figées, mais sur la dynamique des profils neurologiques dans le temps. Elle s’inscrit dans le mouvement plus large vers une médecine personnalisée, fondée sur l’analyse croisée des données cliniques, des marqueurs biologiques, de l’imagerie cérébrale et des comportements observés. Une telle approche permet de mieux saisir les parcours cérébraux atypiques, non comme des anomalies figées, mais comme des formes alternatives d’organisation, susceptibles de se transformer ou de s’altérer selon les périodes de la vie.
L’idée qu’un déséquilibre neurologique précoce puisse affecter d’abord le développement, puis réapparaître plus tard sous la forme d’un trouble moteur, oblige à reconsidérer nos grilles de lecture. L’autisme ne devrait plus être perçu uniquement comme un trouble infantile, mais comme une expression singulière du fonctionnement cérébral, marquée par une sensibilité durable à certains déséquilibres. Une sensibilité qui, longtemps stable, pourrait dans certains cas évoluer vers une fragilité dégénérative. Adopter cette lecture continue des trajectoires neurologiques implique de dépasser les diagnostics comme entités isolées. Il devient plus pertinent de penser en termes de parcours individuels, intégrant les dimensions cognitives, motrices, sensorielles et émotionnelles dans une perspective longitudinale. Ce changement de regard ouvre la voie à des prises en charge mieux ajustées, capables de répondre aux besoins spécifiques de chaque personne, en tenant compte de son évolution dans le temps.
En définitive, le rapprochement entre autisme et maladie de Parkinson révèle une réalité bien plus complexe que celle suggérée par les cadres traditionnels. Certaines vulnérabilités cérébrales peuvent persister, se moduler, voire se transformer au fil des années. Ce constat invite à repenser les frontières entre développement et dégénérescence, et à concevoir le cerveau non comme une entité figée, mais comme un système vivant, plastique, continuellement modelé par le temps et les expériences. Dans cette optique, l’autisme apparaît non plus comme une condition statique, mais comme un marqueur possible de dynamiques cérébrales à long terme, qu’il devient urgent d’explorer avec rigueur, attention clinique et ouverture théorique.
Référence
Yin, W., Reichenberg, A., Schnaider Beeri, M., Levine, S. Z., Ludvigsson, J. F., Figee, M., & Sandin, S. (2025). Risk of Parkinson Disease in Individuals With Autism Spectrum Disorder. JAMA neurology, 10.1001/jamaneurol.2025.1284. Advance online publication.
