Le cortex viscéromoteur: Un nouveau pont entre émotions et fonctions vitales

Depuis des décennies, la recherche en neurosciences explore les frontières entre le cerveau et le corps. Comment les pensées, les émotions ou le stress influencent-ils le rythme cardiaque, la respiration ou la digestion ? Si l’on savait que certaines zones cérébrales, comme l’hypothalamus ou le tronc cérébral, contrôlent les fonctions internes, la question d’un relais cortical, capable d’intégrer les signaux du corps avec les processus cognitifs, restait ouverte.

Une étude publiée en 2025 dans Nature par une équipe de chercheurs américains apporte un éclairage inédit sur la façon dont le cerveau dialogue avec le corps. En explorant les réseaux cérébraux jusque dans leurs zones les plus discrètes, les scientifiques ont mis au jour une région encore méconnue, capable d’orchestrer des échanges constants entre activité mentale et régulation interne. Cette avancée ouvre un nouveau chapitre dans la compréhension du lien entre émotions, fonctions vitales et équilibre physiologique.

Le cortex viscéromoteur postérieur : Un territoire cérébral longtemps ignoré

Le cortex viscéromoteur postérieur, situé dans la région médiane du cortex préfrontal, était jusqu’à présent un territoire mal compris. On le supposait impliqué dans la motricité interne, c’est-à-dire dans la régulation des organes par le système nerveux autonome. L’étude publiée dans Nature révèle pourtant une tout autre réalité : cette aire corticale n’est pas un simple relais moteur, mais un centre de coordination entre perception, mémoire, émotion et régulation physiologique.

Pour comprendre ce rôle, les chercheurs ont combiné plusieurs approches de pointe : traçage neuronal, enregistrements d’activité calcique, analyses transcriptomiques et reconstruction tridimensionnelle des réseaux. Ces méthodes leur ont permis de cartographier avec une précision inédite les connexions du cortex viscéromoteur postérieur, et de montrer que cette région dialogue à la fois avec les structures corticales associées à la cognition et avec les noyaux sous-corticaux chargés du contrôle viscéral.

Le cortex viscéromoteur postérieur reçoit des signaux provenant du thalamus et de l’insula, deux régions impliquées dans la perception des états internes et des émotions corporelles. Il envoie en retour des projections vers l’hypothalamus et le tronc cérébral, responsables de la régulation cardiorespiratoire, hormonale et digestive. Autrement dit, il traduit les informations émotionnelles et sensorielles en ajustements physiologiques, assurant la cohérence entre ce que nous ressentons et ce que notre corps exprime.


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Deux sous-régions pour un même équilibre

Les chercheurs ont montré que le cortex viscéromoteur n’est pas homogène : il se divise en deux sous-régions principales, le cortex viscéromoteur postérieur dorsal et le cortex viscéromoteur postérieur superficiel, chacune dotée d’un réseau distinct et d’une fonction complémentaire.

Le cortex viscéromoteur postérieur dorsal entretient des connexions privilégiées avec l’hypothalamus et les noyaux du tronc cérébral impliqués dans la régulation hormonale et la réponse au stress. Il semble orchestrer la dimension neuroendocrinienne de la vie interne : sécrétion de cortisol, modulation du rythme cardiaque, maintien de la pression artérielle. Le cortex viscéromoteur postérieur superficiel, quant à lui, communique davantage avec les régions associées aux émotions et à la mémoire, comme l’amygdale ou l’hippocampe. Il jouerait un rôle clé dans l’ajustement des réactions corporelles aux contextes émotionnels : accélérer la respiration en situation de peur, relâcher la tension musculaire après un danger, ou encore stabiliser les rythmes internes lors du repos.

Ce double système illustre la manière dont le cerveau assure une homéostasie émotionnelle. Les réponses viscérales ne sont pas de simples réflexes ; elles s’appuient sur une intégration fine entre les besoins physiologiques et les représentations mentales. Cette organisation en deux circuits complémentaires explique comment des états psychologiques — stress, excitation, apaisement — peuvent influencer directement les fonctions internes.

Un dialogue constant entre corps et cognition

L’un des apports majeurs de cette recherche est de montrer que la séparation entre fonctions corporelles et processus mentaux n’a plus vraiment de sens. Le cortex viscéromoteur agit comme un médiateur, traduisant les signaux physiologiques en informations cognitives, et inversement.

Lorsque nous ressentons une émotion, cette activation ne naît pas uniquement dans le système limbique ; elle implique des boucles de rétroaction entre le cortex viscéromoteur, l’hypothalamus et les organes internes. Par exemple, l’accélération du rythme cardiaque en situation de peur ne résulte pas seulement d’une commande automatique, mais aussi d’un traitement cortical qui interprète le contexte et module la réponse. De même, les signaux corporels — tension musculaire, variations respiratoires, sensations abdominales — remontent vers le cortex, où ils participent à la construction consciente de l’émotion.


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Ce modèle conforte l’idée d’une cognition incarnée, où les processus mentaux ne sont pas indépendants du corps, mais enracinés dans la physiologie. Le cortex viscéromoteur postérieur apparaît alors comme une interface neurobiologique entre la perception interne (interoception) et la régulation adaptative du comportement. En d’autres termes, il permet au cerveau de ressentir son propre corps tout en ajustant ses actions à ce ressenti.

La découverte du cortex viscéromoteur ne se limite pas à la curiosité anatomique. Elle ouvre une voie nouvelle pour comprendre certains troubles où les liens entre émotions et physiologie sont perturbés : anxiété chronique, dépression, syndrome du côlon irritable ou troubles psychosomatiques. Dans ces pathologies, les signaux internes sont souvent mal interprétés ou mal régulés, entraînant une dérégulation simultanée du corps et du ressenti émotionnel. En identifiant une structure cérébrale spécifiquement dédiée à ce dialogue, les chercheurs offrent un cadre biologique cohérent pour ces désordres. Le cortex viscéromoteur postérieur pourrait représenter une cible privilégiée pour de nouvelles thérapies, qu’elles soient pharmacologiques ou neuromodulatoires.

Par ailleurs, cette découverte alimente une réflexion plus large sur le lien entre cerveau et santé. La régulation viscérale ne se résume pas à un simple automatisme physiologique : elle participe activement à la construction du bien-être, de la vigilance, et même de la prise de décision. Comprendre comment le cortex viscéromoteur intègre ces dimensions ouvre la voie à une médecine véritablement intégrative, qui prenne en compte la continuité entre activité mentale et équilibre corporel.

Référence

Hintiryan, H., Zhu, M., Zhao, P., Zhang, M., Barry, J., Nanda, S., Rudd, M., Wong, A., Miller, S., Gou, L., Wei, J., Zingg, B., Sun, J., Gutierrez, A., Mun, H. S., Han, Y. E., Bowman, I., Garcia, L., Lo, D., Boesen, T., … Dong, H. W. (2025). Neural networks of the mouse visceromotor cortex. Nature, 10.1038/s41586-025-09360-w. Advance online publication.

L’équipe Neuro & Psycho
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