La surefficience cognitive : L’intelligence qui relie au lieu de séparer

Longtemps marginalisée ou réduite à des clichés, la surefficience qu’elle se manifeste sous forme de haut potentiel intellectuel (HPI) ou de très haut potentiel (THPI)  fait aujourd’hui l’objet d’un nouvel éclairage scientifique. Loin des représentations pathologiques ou romantiques, les récentes recherches en neurosciences cognitives, en neuropsychanalyse et en psychologie clinique convergent pour montrer qu’elle constitue avant tout une architecture cérébrale d’exception.

Les études menées par Jung et Haier (2013, Frontiers in Neuroscience) ont mis en évidence un réseau cérébral singulièrement intégré chez les surefficients : une connectivité accrue entre les aires préfrontales et pariétales, corrélée à une meilleure efficience énergétique du cerveau. Autrement dit, la pensée va plus vite, mais surtout plus loin, avec un coût énergétique moindre. Cette économie de la fulgurance confère à ces esprits une capacité rare : transformer la complexité en clarté, l’intuition en concept.

Les architectures mentales de la lucidité

Sur le plan psychodynamique, la psychanalyse contemporaine  notamment la neuropsychanalyse initiée par Mark Solms  explore comment ces cerveaux hautement intégrés traduisent une intensité affective et cognitive hors norme. Ce que Freud entrevoit comme ‘la puissance du représentable’ se voit aujourd’hui objectivé : une hyperconnectivité entre le cortex préfrontal médian et l’amygdale confère à ces individus une perception plus fine de la nuance émotionnelle et de la profondeur symbolique.

Ainsi, loin d’être des cerveaux en surchauffe, les surefficients sont plutôt des systèmes de régulation émotionnelle à haut rendement, capables de transformer le tumulte intérieur en créativité maîtrisée. La neuropsychanalyse souligne que cette organisation n’est pas synonyme d’instabilité : elle reflète une aptitude à la métabolisation rapide des affects, un processus que l’on pourrait qualifier d’élaboration accélérée.

Une minorité précieuse dans le tissu social

Les vrais HPI et THPI représentent un pourcentage infime de la population : autour de 2 %, selon les dernières estimations de l’American Psychological Association. Contrairement à certaines idées reçues, la majorité d’entre elles ne présentent ni troubles ‘Dys’, ni pathologies associées. Au contraire, plusieurs travaux récents (Nature Human Behaviour, 2022) indiquent une meilleure plasticité neuronale, une plus grande adaptabilité émotionnelle et une résistance accrue au stress chronique, liée à une régulation plus fine du cortisol.

Cette distinction est essentielle : la surefficience n’est pas une faille à réparer, mais un potentiel à accueillir. Elle ne se traduit pas par une hypersensibilité pathologique, mais par une sensibilité élargie, capable d’embrasser le monde dans sa complexité.


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Le rôle de la neuropsychanalyse : un pont entre science et subjectivité

La neuropsychanalyse, discipline à l’interface du cerveau et de l’inconscient, éclaire la surefficience sous un angle nouveau : celui d’une intégration harmonieuse entre logique et émotion, entre symbolique et neurochimie. Solms (2023, Neuroscience & Biobehavioral Reviews) y montre comment la conscience émerge de la capacité du cerveau à mettre en récit l’expérience. Les surefficients, par leur structuration cérébrale plus dense au niveau du réseau du mode par défaut, disposent d’un avantage narratif : la faculté d’introduire du sens là où d’autres ne perçoivent qu’un bruit de fond.

Cette alliance entre introspection et cognition permet une forme d’intelligence incarnée, qui ne sépare pas la pensée du vécu. Elle explique pourquoi de nombreux créateurs, scientifiques ou philosophes surefficients décrivent un rapport organique à la connaissance : une pensée qui pense, mais qui ressent aussi ce qu’elle pense.

Les dérives du discours social sur la surefficience

Le discours ambiant sur le haut potentiel s’est souvent affadi sous les effets de la vulgarisation excessive et de l’amalgame. En confondant surefficience et mal-être, hypersensibilité et souffrance, la société tend à réduire une singularité lumineuse à un diagnostic émotionnel. Or, les études longitudinales de Lim et al. (2021, CognitiveNeuropsychology) montrent que les véritables surefficients manifestent des niveaux élevés de satisfaction de vie, de réussite sociale et d’équilibre émotionnel  à condition que leur environnement reconnaisse et stimule leur spécificité.

Cette reconnaissance suppose aussi une posture d’humilité de la part des normopensants. Si la majorité fonctionne selon des schémas cognitifs linéaires et prévisibles, les surefficients, eux, opèrent dans un espace multidimensionnel. Ils ne fuient pas la norme ; ils l’observent de haut, non par arrogance, mais par besoin de perspective.

Neuroplasticité et conscience élargie

Les données les plus récentes en imagerie fonctionnelle (Haier, 2024, Cerebral Cortex) révèlent que la neuroplasticité des surefficients ne se limite pas à la jeunesse : leur cerveau reste malléable plus longtemps, notamment dans les zones frontales et temporales. Cette plasticité étendue favorise l’innovation, la curiosité, et une capacité rare à redéfinir les cadres mentaux.

Sur le plan psychique, cela se traduit par une capacité à intégrer la contradiction, à tolérer l’incertitude, et à produire du sens sans effondrement. Ce profil, selon la psychanalyste contemporaine Véronique Donnadieu (2022, Revue Française de Psychanalyse), s’apparente à une pensée archipélique : multiple, fluide, en dialogue constant entre raison et imaginaire.


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La clarté comme résistance

Dans un monde saturé de conformisme intellectuel, les surefficients rappellent que la pensée libre est une forme de résistance. Ils incarnent ce que la neuropsychanalyse pressent : une conscience capable d’éclairer la complexité sans s’y perdre, de sentir et de comprendre à la fois.

Mais face aux normo pensants, qui semblent parfois persuadés que le monde ne peut exister qu’à leur vitesse, on pourrait demander avec ironie scientifique :
la pensée ordinaire serait-elle vraiment suffisante pour suivre les méandres d’un esprit conçu pour relier l’infini au tangible ?

Références 

Vaivre-Douret, L. (2025). Identification du haut potentiel intellectuel, conduite à tenir. ScienceDirect.
Cuadrado, J. (2023). Haut potentiel intellectuel, enjeux d’un bilan psychologique. ScienceDirect.
Margerie, V. (2020). Le cerveau Haut Potentiel Intellectuel : une réalité neurophysiologique.
Association Française pour l’Enseignement des Hauts Potentiels (AFEHP). (n.d.). Le point de vue
scientifique sur le haut potentiel
.
Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS). (2023). Haut potentiel intellectuel : entre
mythes et réalités

Flora Toumi
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Psychanalyste, chercheuse Brain Institute Paris et docteure en philosophie

Flora Toumi est docteure en philosophie, neuropsychanalyste et sexologue clinicienne, spécialisée dans la résilience et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT / PTSD). Elle accompagne aussi bien des civils que des militaires des forces spéciales françaises et des légionnaires, à travers une approche intégrative alliant hypnose ericksonienne, EMDR et psychanalyse.
Chercheuse au Brain Institute de Paris, elle échange régulièrement avec le neuropsychiatre Boris Cyrulnik sur les processus de reconstruction psychique.
Flora Toumi a également conçu une méthode innovante de prévention du SSPT/PTSD et fondé le premier annuaire des psychanalystes de France. Son travail relie science, humanité et philosophie dans une quête d’unité entre le corps, l’âme et la pensée.

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